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vendredi 19 novembre 2010

Le cadeau des écrivains haïtiens au Québec

Publié le 19 novembre 2010
Chantal Guy, La Presse
Après le grand mouvement de solidarité envers Haïti qu'on a vu au Québec après le 12 janvier, c'est au tour des écrivains haïtiens de venir à notre rencontre. Une vingtaine d'entre eux, parmi les voix les plus vivantes de la littérature haïtienne, sont là pour offrir le meilleur d'eux-mêmes, malgré le pire qui sévit dans leur pays.
C'est toute une délégation que vous pouvez croiser au stand de Mémoire d'encrier, dirigé par Rodney Saint-Éloi, qui a organisé avec le Salon du livre l'événement Haïti Solidarité. Car, ne l'oublions pas, au moment du séisme, Port-au-Prince s'apprêtait à célébrer une année exceptionnelle pour ses écrivains couronnés de prix un peu partout dans le monde.
Ils sont une vingtaine, d'ici et d'Haïti, à tenir le fort. En dépit de la destruction, du choléra, des tensions, des élections, plusieurs sont arrivés mercredi soir pour participer au Salon du livre de Montréal. «Il fallait faire quelque chose, explique Dany Laferrière. Par ce geste, c'est Haïti qui apporte quelque chose au Québec, c'est un changement dans le mouvement. Ce que les Québécois attendent depuis un moment, c'est que les gens se relèvent et ils sont là pour montrer que l'esprit n'est pas mort. Ces écrivains ont été touchés par la catastrophe, mais ils écrivent quand même.»
Parmi eux, le jeune poète Makenzy Orcel, qui vit sous la tente au coeur de Port-au-Prince. Il vient de publier son premier roman, Les immortelles. En hommage aux prostituées de sa ville qui sont mortes, anonymes, pendant le séisme. «Après le tremblement de terre, je ne voulais plus écrire, mais c'est devenu une priorité. Quand j'ai marché dans Grand-Rue, j'ai vu que tous les bordels étaient tombés. Je voulais donner une voix aux sans-voix, à ces prostituées que tout le monde oublie.»


Littérature féminine
Kettly Mars est une figure importante de la littérature haïtienne actuelle - d'ailleurs, il faut découvrir les écrivaines haïtiennes, plutôt époustouflantes en général. Son plus récent roman, Saisons sauvages, raconte une passion contre nature sous l'ère Duvalier. «La culture et la créativité haïtienne, c'est notre bannière, notre fierté qui nous permet de transcender la situation. Je suis encore plus déterminée à écrire qu'avant.»
Emmelie Prophète, qui nous avait déjà offert Le testament des solitudes, a terminé son dernier roman, Le reste du temps, bouleversant témoignage romanesque sur le journaliste Jean Dominique (assassiné en 2000), peu après le séisme. «J'ai dû faire beaucoup d'effort pour ne pas que le séisme entre dans ce roman. Car le décor dans lequel nous campons nos histoires n'existe plus, nous avons perdu nos repères.» Emmelie est aussi responsable de la Direction nationale du livre en Haïti. Elle a mis sur pied le programme Un livre à la maison, pour que les enfants aient accès à au moins un livre chez eux. «La culture est toujours une urgence, celle de partager le savoir», dit-elle. D'ailleurs, elle déplore le fait que la littérature québécoise ne soit pas plus connue en Haïti. Elle songe même, très sérieusement, à créer une librairie pour combler cette lacune. Car, après tout, il y a bien une Librairie du Québec à Paris.
Un autre acteur du domaine littéraire en Haïti est Clément Benoit II (oui, comme le pape!). Il a créé la bibliothèque Georges-Castera et s'occupe de l'initiative Livres en liberté, qui consiste à diffuser la littérature dans les coins les plus reculés du pays. «Nous invitons aussi les écrivains à rencontrer les lecteurs, c'est essentiel.» Un travail héroïque, selon Makenzy Orcel.
Du côté des essais, Leslie Péan signe un des textes du collectif Refonder Haïti, qui vient tout juste de paraître chez Mémoire d'encrier. Sur la situation actuelle dans son pays, il dit: «Il ne faut pas que le choléra serve à la continuation des mauvaises politiques actuelles.» D'ailleurs, tous les auteurs invités estiment que les élections doivent avoir lieu, qu'il faut un renouvellement politique. Et pour lui, Montréal est un carrefour important de la culture française, de l'intelligentsia des Caraïbes et de l'Afrique. «C'est un pôle francophone qui permet l'éclosion de cultures venant d'autres espaces francophones que Paris.»

Des nouvelles du pays
C'est finalement un grand rendez-vous entre le Québec et Haïti pendant ce salon. Vous pourrez aussi croiser Gary Victor, Lyonel Trouillot, Christophe Charles, Stanley Péan, Rodney Saint-Éloi, Joël DesRosiers ou Gary Klang pendant votre passage au salon. Enfin, sachez que le stand de Mémoire d'encrier offre une bibliographie de grande qualité concernant la littérature haïtienne, si vous voulez y plonger - faites attention, on n'en revient pas. Les écrivains seront tous là pour vous conseiller et, disons-le, c'est une façon très intéressante de prendre des nouvelles d'Haïti par les gens les plus concernés par sa situation.
http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/201011/19/01-4344267-le-cadeau-des-ecrivains-haitiens-au-quebec.php

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