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mercredi 17 novembre 2010

Haïti: "Les causes du choléra sont politiques" Myrlande Manigat sur l'express

• Candidate du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNC), Mirlande Manigat a de sérieuses chances de sortir en tête du premier tour, le 28 novembre. Du moins si l'on en croit les trois sondages conduits par le Bureau de recherche en informatique et en développement économique et social (Brides).

Le dernier en date, publié le 11 novembre, la crédite de 30,3% des intentions de vote, soit plus de neuf points de mieux que Jude Célestin, dauphin du chef de l'Etat sortant René Préval, investi par le parti Inite (Unité en créole). Vice-recteur de l'Université Kiskeya et professeur de droit constitutionnel, l'épouse de l'ex-président Leslie Manigat souffre pourtant d'un handicap: elle parle plus en juriste et en politologue qu'en "bête de meeting". Samedi dernier, cette ancienne sénatrice a répondu aux questions de Clarens Renois, correspondant de l'Agence France-Presse à Port-au-Prince, et de l'envoyé spécial de L'Express.

En quoi les élections combinées programmées le 28 novembre -présidentielle, législatives, sénatoriales partielles- constituent-elles un enjeu singulier?
Il s'agit en effet d'une campagne très particulière. Si les scrutins ont été couplés, l'intérêt éveillé par la présidentielle écrase l'ensemble du processus. Le microcosme Lavalas [allusion au mouvement fondé par l'ex-président Jean-Bertrand Aristide, contraint à l'exil le 29 février 2004] présente plusieurs candidats, bien qu'Aristide, qui bénéficie toujours d'une certaine popularité, n'en ait adoubé aucun.
L'enjeu pour cette mouvance fragmentée réside dans la préservation ou l'effritement de son électorat. Quant au parti Inite [celui du chef de l'Etat sortant René Préval], il avait dans un premier temps envisagé d'investir l'ancien Premier ministre Jacques-Edouard Alexis. Avant de se raviser et de désigner, en la personne de Jude Célestin, le pire prétendant possible. A l'évidence, ce choix ne passe pas.
Autre phénomène notable: l'intérêt populaire croissant pour cette échéance. Longtemps, nombre d'électeurs ont pensé que le scrutin n'aurait pas lieu, d'où une impression d'apathie générale, davantage perceptible dans la zone de Port-au-Prince qu'en province. Disons que la capitale a pris le train en marche.

Les plaies béantes du séisme du 12 janvier dernier le choléra, les ouragans et autres tempêtes tropicales: est-il sage de maintenir le rendez-vous à la date prévue?
Il survient à un moment charnière. Lesté par les conséquences du tremblement de terre et la propagation du choléra, génératrice de panique, le contexte n'est pas objectivement favorable à la tenue d'élections. La maladie, qui avait disparu, a fait son retour à l'état épidémique; elle s'installera à l'état endémique. Même si l'on parvient à juguler sa diffusion, il faudra pour l'extirper entreprendre une intense politique de prévention.

Le gouvernement a tenté d'utiliser la crise du choléra pour retarder les élections
Je me refuse pour ma part à exploiter ce fléau pour des motifs électoraux. Reste que ses causes sont politiques, car elles renvoient aux carences de la gestion de l'eau. Environ 40% de la population de la capitale a accès à l'eau potable ; proportion moitié moindre dans le reste du pays. Les fleuves et rivières constituent la source n°1 d'alimentation d'Haïti. Or il suffit de longer un cours d'eau vers l'aval pour voir, tous les 300 mètres, des femmes y laver le linge et les enfants, s'y baigner et y faire leurs besoins.
Le gouvernement a tenté d'utiliser la crise du choléra pour retarder les élections. Mais ce ne serait pas raisonnable. Rien ne dit que nous n'aurons pas dans un mois davantage de décès et de malades. Différer jusqu'à quand? Six mois? Un an? C'est peut-être le mauvais moment, mais il n'y en aura pas de bon dans les années à venir.

Quel crédit accordez-vous aux sondages qui vous promettent de virer en tête le 28?
Ma formation en sciences politiques m'a rendu familière de ces photographies de l'opinion à l'instant T, qui ne sont apparues en Haïti qu'en 1986. J'aurais mauvaise grâce à dénoncer un procédé conduit conformément à une méthodologie aussi classique que correcte, et dont je bénéficie de manière continue, comme l'atteste la progression de mon score entre la deuxième et la troisième enquête. Satisfaction donc, mais sérénité.
Je le dis a mes équipes: ces sondages doivent nous inciter à travailler davantage encore. Ils ont bien sûr un impact politique. Des candidats mal placés envisagent maintenant un ralliement; ceux qui n'ont jamais franchi le seuil des 1% d'intentions de vote cessent d'ailleurs d'engager des frais. Ce mouvement, déjà perceptible, s'amplifiera à l'heure de la quatrième et dernière enquête, qui sera publiée peu avant le jour J. Je suis aujourd'hui approché par des rivaux prêts à se désister en ma faveur, soit qu'ils m'en informent directement, soit qu'ils me le fassent savoir par des tiers.
On peut tirer de ces indices convergents deux enseignements: la consolidation de l'hypothèse d'un second tour entre Mirlande Manigat et Jude Célestin; le rejet de la politique gouvernementale. S'il est bien sûr trop tôt pour parler d'un vote-sanction, un tel phénomène paraît probable. J'espère en outre élargir sous peu mon socle de soutiens. L'Eglise protestante pourrait ainsi se prononcer en ma faveur. La Conférence épiscopale, côté catholique? Je n'y crois pas trop. En revanche, il est probable que des curés appelleront en chaire à voter pour moi, et que certains évêques manifesteront à titre individuel leur préférence. C'est ainsi que celui des Gonaïves a tenu récemment à me recevoir à dîner.

Compte tenu de la couleur du parlement, votre victoire ne dessinerait-elle pas le plus court chemin vers l'impasse institutionnelle?
De nombreux électeurs redoutent le schéma de la cohabitation. La présidence pour moi; le parlement au parti Inite. Auquel cas la primature reviendrait automatiquement à cette formation. Si ce scénario prévaut, je m'inclinerai: je suis constitutionnaliste, mais aussi légaliste. Le Sénat semble imprenable: Inite détient déjà 12 sièges, il lui suffit d'en conquérir 4 sur les 11 à pourvoir. En revanche, du côté de la Chambre des députés, l'affaire paraît certes difficile, notamment du fait des risques de combines et de fraudes, mais pas injouable. Mon espoir, c'est que la perspective d'une telle cohabitation, donc la menace d'une crise institutionnelle, amplifie le rejet évoqué précédemment.

Haïti passerait-il alors du statut de pays en partie ingouverné à celui de pays totalement ingouvernable?
Ce danger existe. Depuis que j'admets la possibilité, voire la probabilité, d'une victoire, il s'agit là de mon souci majeur. Je m'assigne donc trois objectifs: obtenir, en cas de second tour, un mandat populaire clair, avec un score supérieur à 55%, afin que ma légitimité ne puisse être contestée; sceller des alliances dès le premier tour; et, grâce à la dynamique ainsi créée, priver Inite de la majorité absolue parmi les députés. Pas facile: le pouvoir a corrompu les élus de la législature qui s'achève, soit par l'argent, soit sous forme de projets financés dans leur circonscription. Ceux-là savent que je ne serai pas la présidente de leurs rêves; avec moi, ils ne pourront pas perpétuer leurs habitudes.

Le fait d'être une femme est-il à Haïti un atout ou un handicap?
C'est sans nul doute l'un des atouts de ma candidature. Laquelle s'inscrit dans un élan national et international. Notre société n'est pas misogyne, mais le rôle dévolu à la femme sur l'échiquier politique a longtemps été secondaire. Par ailleurs, la victoire récente de Dilma Rousseff au Brésil contribue à créer un climat propice. D'autant que le pays qu'elle préside désormais est très présent chez nous, et depuis longtemps, ne serait ce que par l'importance de son contingent au sein de la Minustah [Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti]. Nombre d'électeurs et d'électrices se disent ceci: les hommes on toujours échoué; donnons lui sa chance. Une dernière chance. Ce qui bien entendu accroît l'acuité du défi. Disons que je bénéficie d'un préjugé favorable, que je suscite un espoir dubitatif.

Haïti est-il un pays souverain?
Nous nous trouvons dans une situation de tutelle militaire et économique. Qu'est-ce qu'une nation souveraine dont la communauté internationale finance 60% du budget et 80% du coût des élections prochaines? Au nom de la continuité de l'Etat, je m'engage à assumer le Plan de sauvetage national arrêté par l'équipe sortante. Mais je tâcherai de me montrer dure quant à la révision de l'ordre des priorités, des mécanismes de décision et du rôle excessif confié aux ONG. Entre la petite Haïti et la nébuleuse étrangère, il y a inégalité de puissance. Je ne prétends pas imposer une égalité parfaite, mais au moins faire prévaloir notre dignité. Par la voie de la négociation, non de la confrontation.
Votre mari, l'ancien président Leslie Manigat, évincé en 1988 par un coup d'Etat militaire après n'avoir siégé que 120 jours au Palais National, serait-il aussi votre mentor?
Le nom de Manigat est un avantage. Mais mon époux s'est retiré pour de bon de la scène politique; il ne participe pas à ma campagne. Bien entendu, je prendrai conseil auprès de lui, tant il serait absurde de se priver de son expérience et de son exceptionnelle intelligence politique. Mais il ne jouera en aucun cas un rôle de prince consort.
Source L"EXPRESS
http://caraibesfm.com/index.php?id=7062

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