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mardi 18 mai 2010

Le casse-tête universitaire

Malorie Beauchemin, La Presse.-
(Haïti) Christina Colimon a bien cru qu'elle ne reverrait pas de si tôt les bancs d'école. Étudiante en droit à l'université privée Quisqueya, elle s'apprêtait à entamer son deuxième trimestre lorsque le séisme a frappé. «Pendant au moins un mois, j'ai pensé que ça n'allait pas reprendre. Je suis contente. Sur six cours, il y en a cinq qui ont recommencé, c'est bon quand même», dit-elle, souriante.
Certains cours ont repris en avril, d'autres au début du mois de mai. En empiétant sur les mois normalement consacrés au trimestre d'été - qui sera sûrement annulé de toute façon -, la catastrophe n'entraînera pas, pour Christina et plusieurs autres, de retard dans leur formation.
Les bâtiments de l'un des deux campus de l'université, en haut de la montagne, se sont écroulés complètement.
Dans la cour, là où se trouvait l'un des pavillons, des ouvriers s'affairent à construire un bâtiment semi-temporaire de bois et de tôle. L'institution attend les évaluations de la qualité du sol pour prendre une décision importante: reconstruire sur le même terrain ou déménager tout le campus.
Mais la perspective de la reconstruction est encore bien lointaine.
«Nous sommes actuellement dans la phase de réhabilitation», explique le vice-doyen à la faculté des sciences, du génie et d'architecture, Evenson Calixte.
Et elle doit se faire en douceur, tant le choc psychologique a été grand.
«On a dû passer par une étape où, en guise de cours, on se racontait des blagues, on se parlait de ce qui s'est passé le 12 janvier, après le 12 janvier, comment vous avez vécu ça, quelle a été la situation chez vous, raconte le professeur de sciences politiques Wilson Jabouin. Certains de mes étudiants ont été pris sous les décombres et se sont nourris de cola pendant des heures ou des jours. Je prends la précaution de ne pas les étouffer avec le cours.»
L'enseignement, d'abord donné sous la tente, se fait depuis le mois d'avril dans 14 salles aménagées dans un abri de bois, de tôle et de béton. Et comme l'essentiel des bibliothèques universitaires de Port-au-Prince a disparu, c'est l'internet qui prend le relais.
«Bien entendu, je demande aux étudiants de vérifier les sources, alors ils cherchent sur des sites universitaires surtout», précise le professeur Jabouin. Bientôt, les syllabus, les devoirs et la documentation pourraient aussi se retrouver en ligne.
Puis, l'Université a créé un programme de volontariat pour les étudiants qui ont de la difficulté à payer les droits de scolarité. Un trimestre à Quisqueya coûte de 900 à 1300$, ce que peu d'Haïtiens peuvent se permettre. Contre quelques heures de bénévolat dans les camps de déplacés, avec les enfants ou les blessés, les étudiants reçoivent quelques centaines de dollars par mois.
Mais le plus grand problème qui s'annonce à Quisqueya, c'est la baisse de fréquentation. Seulement 500 des 1800 étudiants que comptait l'université avant le séisme sont revenus sur les bancs d'école après quatre mois. Qu'est-il advenu des autres? «Ceux qui avaient de l'argent sont partis à l'étranger», dit Evenson Calixte, résigné.
Le rêve d'un campus unique
À l'Université d'État d'Haïti (UEH), seule institution nationale publique d'enseignement supérieur, le problème est tout autre.
À Port-au-Prince seulement, les facultés de l'UEH étaient dispersées en 11 lieux différents. Les dommages sont immenses. La faculté de linguistique, entre autres, est complètement détruite, et plus de 300 personnes y ont trouvé la mort. Les cours reprennent maintenant graduellement, par rotation, pour les 15 000 étudiants de la capitale. Mais l'Université n'est pas au bout de ses peines.
«On doit rassembler les étudiants. On n'a pas beaucoup de locaux, les anciens bâtiments étaient en hauteur, il y avait des laboratoires, des résidences, explique le recteur de l'UEH, Jean Vernet Henry. On n'a pas encore fini les abris temporaires destinés à accueillir les étudiants.»
D'ici à la fin du mois de mai, l'Université d'État d'Haïti estime que la totalité de ses étudiants auront repris certains de leurs cours. Mais le recteur ne se fait pas d'illusions: «Tout le monde sera diplômé un peu plus tard», concède-t-il.
Dans le chaos et la désolation, les dirigeants de l'UEH ont toutefois un rêve: construire un nouveau campus qui réunira l'ensemble des facultés.
«Le plan de match est là, nous avons trouvé un terrain de 30 hectares au nord de Port-au-Prince», raconte le recteur, une étincelle dans les yeux.
Mais comme c'est souvent le cas, le financement manque. En Haïti, seulement 0,7% du budget de l'État est consacré à l'éducation. Ailleurs dans les Caraïbes, c'est 4 ou 5%, et autour de 20% au Québec.
«Même avant le séisme, le gouvernement s'occupait très peu de l'Université d'État. On est sous-financé, sous-équipé», déplore M. Henry.
Les étudiants entrent à l'UEH à la suite d'un concours - «ils sont sélectionnés au mérite», précise le recteur - et n'auront à débourser que de 10 à 20$ par année pour leur formation.
L'UEH survit grâce à des partenaires étrangers, dont l'ACDI, l'Université Laval ou encore l'Université de Montréal. Jean-Vernet Henry mise aussi sur l'aide étrangère pour financer son campus. Sa solution: fractionner la construction par faculté, pavillon, laboratoire, pour que les bailleurs de fonds puissent contribuer chacun à sa façon.
L'ÉDUCATION HAÏTIENNE EN CHIFFRES
> 40% de la population haïtienne a moins de 15 ans.
> Les deux tiers de la population scolaire ont été affectés par le séisme.
> 38 000 élèves et 1300 professeurs sont morts dans la catastrophe.
> La moitié des enfants d'âge scolaire n'allaient pas à l'école avant le tremblement de terre.
> Les écoles primaires publiques ne comptent que pour 8% des établissements scolaires mais accueillent 20% des élèves.
Sources : UNICEF, Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/201005/17/01-4281030-le-casse-tete-universitaire.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B13b_seisme-en-haiti_557239_section_POS3

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