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vendredi 26 février 2010

Jean-Yves Jason, le maire de Port-au-Prince : "Ce sera aux citoyens de décider de l'avenir de Port-au-Prince"

LE MONDE | 25.02.10 | 14h37  •  Mis à jour le 25.02.10 | 14h37

Sa ville doit être reconstruite à 75 % : le maire de Port-au-Prince, Jean-Yves Jason, est en France, à la recherche de partenariats avec des villes de l'Hexagone. Le maire (PS) de Paris, Bertrand Delanoë, a ainsi décidé d'allouer une subvention de 1,5 million d'euros sur trois ans à la capitale haïtienne, et de l'aider à remettre sur pied son administration et les services municipaux, dévastés par le séisme du 12 janvier. Il s'est aussi engagé à mobiliser ses homologues, via l'Association internationale des maires francophones et l'organisation mondiale Cités et gouvernements locaux unis, deux structures qu'il préside.

Cette coopération décentralisée, de ville à ville, est désormais l'un des principaux moyens pour la France de peser sur la reconstruction d'Haïti. La France a en effet été chargée par les Nations unies d'organiser une réunion internationale sur ce thème, aux Antilles, pour préparer la conférence des donateurs prévue le 31 mars, au siège de l'ONU, à New York.

Il s'agit d'une mission problématique à double titre. D'abord parce que les collectivités locales n'ont pas attendu l'Etat français pour se mobiliser, et observent avec méfiance le réveil de cette tutelle centrale. Ensuite parce que le gouvernement haïtien accorde peu d'autonomie aux municipalités, regrette M. Jason, qui est l'un des principaux opposants politiques au chef de l'Etat, René Préval.

La municipalité de Port-au-Prince est-elle en état de fonctionner ?

Les bâtiments de la mairie se sont effondrés, faisant une cinquantaine de morts et de nombreux blessés. Nous avons perdu beaucoup de personnel, beaucoup de cadres, au sein d'une administration qui comptait 722 fonctionnaires et 63 élus. Mais nous avons mis en place une structure de coordination de l'aide, nous formons une équipe pour travailler directement avec les sinistrés et trouver des espaces pour reloger les gens, et nous créons une commission pour la reconstruction.

On a surtout entendu s'exprimer le premier ministre, Jean-Max Bellerive, et le président, René Préval. La municipalité est-elle associée au processus ?

Nous avons dû nous battre pour être associés à la coordination de l'aide et à la préparation de la reconstruction. Ça a aussi été un combat pour faire comprendre aux organisations non gouvernementales qu'il existait une municipalité et qu'il fallait passer par elle. Aujourd'hui, tout le monde travaille avec nous. Les gens ont compris que nous sommes la structure la plus proche de la population.

Peut-on parler de décentralisation en Haïti ?

Selon la Constitution de 1987, les communes sont autonomes financièrement et administrativement. Nous nous battons pour l'application de cette disposition. Mais le processus n'en est qu'à son début. 80 % des services publics à Port-au-Prince sont assurés par le gouvernement central. Comme tous les Etats faibles, Haïti néglige les collectivités territoriales, et les mairies sont faibles. Nous avons commencé à mettre en place un gouvernement municipal, et nous essayons qu'il soit consulté.

Nous ne voulons pas que le gouvernement fasse notre travail. Mais pour renforcer l'administration municipale, il nous faut des recettes. Or, nous ne percevons que 10 % des revenus de la ville. Avant le séisme, nous avions commencé à recenser, avec l'aide de Montréal, toutes les adresses de Port-au-Prince, dans le but de collecter les taxes, dont moins de 10 % étaient effectivement perçues.

Quelle aide attendez-vous des collectivités locales étrangères ?

Notre but n'est pas de lever des fonds, mais de mobiliser l'expertise de leurs services municipaux. Nous avons besoin de techniciens pour nous aider à définir la meilleure manière de reconstruire la ville. Tous les acteurs de la reconstruction vont débattre de ce qu'il faut faire à partir du 31 mars, à New York. En tant que municipalité, nous devons avoir une position et une proposition. Mais nous ne pouvons pas définir seuls cette feuille de route.

Le gouvernement haïtien a évoqué l'hypothèse de déplacer une partie de la ville, jugée trop dense. Qu'en pensez-vous ?

Ma certitude est qu'il faut reconstruire Port-au-Prince sur elle-même. Mais je suis favorable à ce que l'on développe un cordon économique autour de la ville, pour que ces nouvelles activités attirent les habitants vers la périphérie, à condition que nous ayons notre mot à dire.

La ville était en grande partie formée de bidonvilles, sans accès aux services urbains de base. N'est-il pas illusoire de vouloir la transformer en cité modèle ?

Peut-on se refuser à ce genre de démarche ? Nous voulons faire de Port-au-Prince une ville durable, qui réponde aux objectifs du Millénaire pour le développement définis par les Nations unies, qui délivre à ses habitants les services et les ressources économiques nécessaires. Nous aimerions organiser un grand concours d'architecture et d'urbanisme pour penser l'avenir de la ville. Mais il faudra surtout travailler avec nos trente-cinq comités de quartiers. Ce sera aux citoyens de décider de l'avenir de Port-au-Prince.

Propos recueillis par Grégoire Allix

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/02/25/jean-yves-jason-ce-sera-aux-citoyens-de-decider-de-l-avenir-de-port-au-prince_1311191_3222.html#ens_id=1290927

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