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vendredi 25 avril 2008

Les misères de l'abondance

A Etang Bois-Neuf et sur toute la route depuis l'entrée de l'Arcahaie les lam veritab, par milliers, veulent tomber d'arbres trop chargés. Les mangues de plusieurs variétés sont comme orphelines. Pas assez de preneurs pour des récoltes abondantes. Dans un pays où l'on manifeste contre la faim, c'est un paradoxe.
Ici et là, sur la plantation où nous sommes réunis ce samedi matin à Etang Bois-Neuf, deuxième section de Saint-Marc, un jeune croque un mango à belles dents. Il y en a tellement, sous le manguier où il est assis, qui vont finir en pourriture que cela fend le coeur. Là-bas la misère et la vie chère, ici le gaspillage le plus flagrant.

C'est le lot de la province en absence d'industrie de transformation des produits agricoles.« Il en est ainsi à chaque récolte. Tout veritab yo bon menm lè et c'est la même chose pour les mangues. Les veritab ne font pas de prix au marché et les mangues, particulièrement cette saison, nous sont restées sous les bras.
Les usines qui exportent la mangue francique vers les Etats-Unis n'ont pas acheté à temps parce qu'elles ne pouvaient pas exporter et nous voilà déstabilisés. Mango ap pouri sou pye ».


C'est le président du Comité des irrigants de Bois-Neuf qui parle en ces termes. Comme si la faiblesse du système d'irrigation ne leur suffisait pas comme problème (voir Gouverner la rosée à Bois-Neuf dans Le Nouvelliste du lundi 21 avril 2008) voilà que les fruits de la terre ne portent pas fruit aux agriculteurs.
L'abondance est une entrave quand la nature est généreuse avec tous les manguiers et tous les lam veritab.« Quand il y a rareté, une douzaine de veritab se vend de 250 jusqu'à 300 gourdes. De nos jours, en pleine récolte, 12 lam valent à peine 10 gourdes », se lamente le président Wilhem Emile.
L'arbre véritable est un fruit ou un légume qui ne peut pas être conservé trop longtemps. En dépit du fait qu'il soit très répandu dans le pays et que notre terroir en produit des quantités astronomiques, nous n'en faisons rien. Il n'est pas transformé en farine ou sous une autre forme et aucun processus de conservation n'a été non plus popularisé. Quand il ne sert pas à engraisser les porcs, les surplus se perdent.

Pas étonnant, dans les provinces, particulièrement du côté de Bois-Neuf, le destin d'un superbe arbre véritable se termine de plus en plus souvent sous les coups de haches des bûcherons ou dans un four à charbon.
« Un grand arbre veritab peut fournir 5 à 6 douzaines de feuilles de planche. A trois mille cinq cents gourdes la douzaine, le propriétaire fait vite son choix. Pour son malheur, il gagne d'un coup beaucoup d'argent, mais n'en gagnera plus car l'arbre a été coupé. S'il l'avait conservé, à chaque saison, il récolterait le fruit de sa patience », nous explique Wilhem.


A deux pas de l'endroit où se déroule cette conversation, là où commence le captage qui alimente le système d'irrigation de Etang Bois-Neuf, là où l'eau est abondante et presque toujours disponible, un charpentier a posé son établi pour débiter les arbres veritab et les manguiers à ses soins confiés par des agriculteurs en détresse.« On ne peut rien dire à qui que ce soit, c'est comme ceux qui s'attaquent au canal pour le percer et prendre une prise : tout le monde se débrouille pour chercher la vie », lâche fataliste le président.
« S'il y avait de l'eau tout le temps et des débouchés pour les produits, ils respecteraient beaucoup plus les arbres », conclut-il.«Même la popote de l'arbre véritable est comestible. Nous en ignorons les vertus. Il suffit de gratter et de laver la popote pour en faire une délicieuse confiture», ajoute Thony Saeih, grand propriétaire de la zone qui a sur ses terres des dizaines d'arbres véritables.
En fait, la popote de veritab, qui est un fruit manqué, a toutes les qualités de l'arbre et pourrait même être cuit comme légume quand il est encore vert et tendre. Des millions de popotes se perdent à chaque récolte, parce que, encore une fois, personne ne se penche sur sa situation. Ni les agro-industriels qui font tant défaut au pays ni les hommes d'affaires qui voient dans l'agriculture une rente et rien d'autre.
Pour les mangues qui colorent le feuillage vert des grands manguiers de Bois-Neuf, la situation est encore plus compliquée cette saison.
« Il y a des mangues, beaucoup de mangues, mais les usines de Port-au-Prince qui les achètent pour les envoyer à l'étranger avaient un problème. Elles ne sont pas venues en acheter au début de la saison. Aujourd'hui, les premières mangues sont trop mûres. Nous perdons de l'argent».Là encore la sanction est immédiate.
Les manguiers qui ne sont pas de la variété francique tombent sous les coups de haches et les dents des scies.Il n'existe pas de fonds de compensation pour protéger les propriétaires de manguiers en cas de coups durs et le gouvernement, s'il s'est penché sur les difficultés des exportateurs qui avaient vu les envois vers les Etats-Unis stoppés net à cause de la découverte de larves dans des caisses qui allaient partir pour les USA, n'a rien fait pour les producteurs qui sont le premier maillon de la chaîne de la florissante filière de l'exportation de mangues.
Résultats, pour couvrir les pertes de revenus les manguiers les moins nobles tombent, sont assassinés, convertis en planches et en charbon car même les marchandes ne sont pas venues négocier cette année. Cela fait plusieurs saisons que les usines avaient réorienté le commerce de la mangue francique plus vers l'exportation que vers la consommation locale.Même si les propriétaires voudraient vendre pour le plaisir des palais locaux, les prix ont drastiquement chuté avec le retrait des usines et l'arrêt des exportations. Encore une fois, l'abondance de l'offre a fait chuter les prix.
S'il existait des filières de transformations performantes de la mangue pour en extraire le sirop, recueillir le jus ou pour les sécher, ces alternatives protégeraient les producteurs et réguleraient le marché en permettant une consommation différée de la production et une réorientation de l'offre.A Etang Bois-Neuf, personne ne va aussi loin dans leurs réflexions, mais tout le monde est conscient qu'on ne pense pas à eux, les producteurs. Pas assez en tout cas pour leur éviter d'être appauvri même quand la nature est clémente avec la terre.
Frantz
Duval
duvalfrantz@yahoo.com

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